Réduire les inégalités doit être un objectif collectif
À l'initiative de l'Observatoire québécois des inégalités, une quarantaine de personnes, tant dirigeant(e)s de regroupement d’organismes et de fondations philanthropiques (y compris la Fondation Chagnon) que professeur(e)s, ont cosigné une lettre ouverte sur l'importance de réduire les inégalités au sortir de la crise.
Réduire les inégalités doit être un objectif collectif
La crise socio-économique accompagnant la COVID-19 a amplifié des inégalités au Québec autant qu’elle les a mises en lumière. Tant les gouvernements que les acteurs de la société civile ont généralement réagi rapidement pour diminuer les conséquences vécues par les personnes les plus vulnérables.
Les besoins restent toutefois importants, en particulier pour les femmes, les personnes racisées et les Autochtones, les personnes moins nanties ou marginalisées, celles ayant un travail précaire, ainsi que les personnes aînées et les jeunes. Les conséquences de la crise ont d’ailleurs tendance à s’amplifier lorsque ces facteurs de vulnérabilité se superposent.
Maintenant qu’un déconfinement progressif est engagé, il importe de se donner des objectifs clairs pour concrétiser à quoi ressemblera l’avenir que souhaite l’ensemble de la société.
Les inégalités de revenu, d’opportunité et de qualité de vie nuisent à l’économie, à la société et à la démocratie lorsqu’elles sont trop élevées. La crise les aurait amplifiées, au détriment des plus vulnérables. Il pourrait donc être pertinent de se donner comme objectif collectif de réduire ces écarts entre membres de notre société, afin que tout le monde puisse bénéficier de la sortie de crise.
Pour concrétiser cette ambition, l’Observatoire québécois des inégalités propose dans une nouvelle note de réflexion deux critères à partir desquels les gouvernements et acteurs de la société civile pourront fonder leurs actions visant à amoindrir les conséquences de la pandémie et de préparer l’après-crise.
D’abord, le 40 %
Le premier critère serait que les politiques publiques et les actions de la société civile priorisent l’amélioration du sort des ménages du 40 % le plus défavorisé, par exemple une famille de deux enfants ayant un revenu après impôts et transferts inférieur à 47 000 $. Comme le démontre notre analyse, ce critère est simple à comprendre et à appliquer, il est suffisamment englobant pour réunir l’ensemble des groupes vulnérables, en plus d’être déjà utilisé par la communauté scientifique et certaines organisations internationales.
Concrètement, les actions des gouvernements et de la société civile pourront atteindre l’objectif d’inclusion si ces ménages vulnérables connaissent un retour à leur situation d’avant-crise en même temps que le 60 % le plus favorisé, ces derniers allant retrouver plus aisément leur niveau de vie antérieur.
Cette approche permettra d’éviter de crier victoire si, par exemple, la majorité déjà la plus favorisée connaît un retour à sa situation antérieure, laissant à leur sort les personnes ayant le plus souffert de la crise. Les gouvernements gagneraient d’ailleurs à prioriser la compilation des statistiques requises et à les rendre disponibles bien avant les usuelles deux-trois années d’attente.
Passer le test ADS+
Privilégier un seul indicateur — simple et tangible, de surcroît — a comme principal avantage de rendre concret et convaincant l’objectif qu’il incarne. Or, un indicateur a les mêmes propriétés qu’un lampadaire : il peut apporter un éclairage intéressant à un endroit précis, tout en laissant le reste dans l’obscurité, invisible et plus facile à oublier ou à ignorer.
Ainsi, miser sur un seul indicateur expose cette approche à atteindre l’objectif sans que l’ensemble des groupes qui en font partie ait nécessairement bénéficié de la reprise économique et des mesures adoptées. C’est pourquoi le second critère serait de soumettre les politiques des gouvernements et les actions de la société civile à une analyse différenciée selon le sexe et autres facteurs de vulnérabilité (ADS+) tels l’origine ethnoculturelle et la racialisation, l’âge, la situation de handicap ou le niveau de revenu. Le recours systématique à une analyse ADS+ permettrait d’estimer si certains groupes bénéficient de façon disproportionnée d’une mesure ou en sont au contraire délaissés.
Ce type d’analyse est particulièrement pertinente, car 1) les besoins les plus importants se cachent sous les moyennes, 2) des dizaines de milliards sont mobilisées présentement pour soutenir et relancer l’économie, et 3) la crise tend à favoriser la rapidité d’exécution au détriment du processus d’analyse usuel des gouvernements, amplifiant le risque pour les groupes les plus vulnérables d’être délaissés.
Cet engagement implique non seulement de consacrer des ressources à l’analyse elle-même, mais également de collecter et de rendre disponibles ces données. Ultimement, ce type d’analyse peut par exemple mener à des politiques qui diffèrent selon les groupes composant la population. Les gouvernements se sont engagés à ne laisser personne derrière. Ces deux critères leur permettront d’accomplir leur ambitieux objectif.
* Cette lettre est signée par une quarantaine de personnes, tant dirigeant(e)s de regroupement d’organismes et de fondations philanthropiques que professeur(e)s:
Louis Audet, président exécutif du conseil d’administration, Cogeco; Thomas Bastien, directeur général, Association pour la santé publique du Québec; Leila Benhadjoudja, professeure adjointe à l’École d’études sociologiques et anthropologiques de l’Université d’Ottawa; Manon Bergeron, professeure à l’UQÀM et titulaire de la Chaire de recherche sur les violences sexistes et sexuelles en milieu d'enseignement supérieur; Odile Boisclair, présidente, Table des regroupements provinciaux d'organismes communautaires et bénévoles; Denise Byrnes, directrice générale, Oxfam Québec; Jean-Marc Chouinard, président, Fondation Lucie et André Chagnon; Marie Connolly, professeure titulaire de sciences économiques à l’ESG UQÀM et directrice du Groupe de recherche sur le capital humain; Linda Crevier, présidente, Réseau des Tables régionales de groupes de femmes du Québec; Nolywé Delannon, professeure adjointe au Département de management de l’Université Laval; Isabelle Dionne, présidente-directrice générale, Centraide des régions du centre-ouest du Québec; Pierre Fortin, professeur émérite au Département des sciences économiques à l’ESG UQÀM; Sophie Gagnon, avocate et directrice générale, Clinique Juripop; Luc Godbout, professeur titulaire et directeur de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke; Louis-Edgar Jean-François, président-directeur général, Groupe 3737; Robert Laplante, directeur général, Institut de recherche en économie contemporaine; Katherine Lippel, professeure et titulaire de la Chaire de recherche éminente en droit de la santé et de la sécurité du travail de l’Université d’Ottawa; Simon Langlois, professeur émérite au Département de sociologie de l’Université Laval; Claude Lessard, professeur émérite à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal et ancien président du Conseil supérieur en éducation; Bruno Marchand, président-directeur général, Centraide Québec, Chaudière-Appalaches et Bas-St-Laurent; Frédéric Mérand, professeur titulaire de science politique et directeur du Centre d'études et de recherches internationales de l’Université de Montréal; Karim Moussaly, économiste à l’Université McGill Julie Ouellet, directrice générale, Regroupement des organismes communautaires autonomes jeunesse du Québec; Renée Ouimet, directrice, Mouvement santé mentale Québec; Martin Papillon, professeur agrégé de science politique à l’Université de Montréal; Lili-Anna Pereša, présidente et directrice générale, Centraide du Grand Montréal; Louise Potvin, présidente du Conseil scientifique de l’Observatoire québécois des inégalités et professeure titulaire à l’École de santé publique de l’Université de Montréal; Nadine Raymond, présidente du Conseil d’administration, Observatoire québécois des inégalités et directrice générale, Intégration Jeunesse du Québec; Christine Rothmayr, professeure titulaire et directrice du Département de science politique, Université de Montréal; Maximilien Roy, directeur général, Regroupement des jeunes chambres de commerce du Québec; Maxime Roy-Allard, porte-parole, Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec; Tanya Sirois, directrice générale, Regroupement des centres d'amitié autochtones du Québec; France St-Hillaire, vice-présidente à la recherche, Institut de recherche en politiques publiques; Gisèle Tassé-Goodman, présidente, Réseau FADOQ; Caroline Toupin, coordonnatrice, Réseau québécois de l'action communautaire autonome; Daniel Weinstock, professeur titulaire et directeur de l'Institut des politiques sociales et de la santé de l'Université McGill
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